La Liberté

Loger des requérants d'asile en sous-sol, est-ce humain?

Le parlement mise sur les abris PC pour faire face à l’afflux de réfugiés, un choix qui interpelle

Kessava Packiry, swissinfo

Publié le 04.07.2023

Temps de lecture estimé : 6 minutes

Asile » Le parlement a refusé le mois dernier un crédit de près de 133 millions de francs pour des conteneurs destinés à loger des migrants. L’argument qui a fait mouche? Il y a des abris PC qui sont inoccupés et qui peuvent parfaitement faire l’affaire. Inutile donc de dépenser tous ces millions pour créer 3000 places destinées à accueillir provisoirement des requérants d’asile dans des conteneurs. Ce projet n’a pas trouvé grâce aux yeux de la droite. Une partie du Centre et du PLR n’a en effet pas voulu donner des munitions à l’UDC en année électorale.

L’intention de la conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider était d’anticiper un afflux massif de réfugiés, et leur offrir un abri convenable dans des conteneurs. Comme le premier accueil est du ressort de la Confédération, elle avait prévu plusieurs emplacements sur des terrains de l’armée, notamment à Bière (Vaud), Tourtemagne (Valais) et Bure (Jura).

Une urgence relativisée

Les parlementaires ont relativisé l’urgence de la situation et ont estimé que ces infrastructures publiques payées à coups de millions pouvaient parfaitement faire l’affaire. Les cantons ont rappelé en vain qu’ils avaient besoin de ces abris PC comme réserve pour héberger ensuite les requérants d’asile à leur charge.

Déçue, Isabelle Moret, conseillère d’Etat vaudoise en charge de la politique migratoire, a déclaré dans une émission Forum de la RTS: «Dans le canton de Vaud, nous avons décidé de ne pas mettre des familles avec enfants dans les abris de protection civile parce que ce n’est pas adapté à des enfants.» En plus d’être sous terre, ces structures se trouvent parfois sous des écoles et ne peuvent être utilisées que la nuit. «Ce n’est pas un accueil digne pour des familles dans notre pays», a poursuivi la libérale-radicale.

Durant 13 ou 14 mois

Mohammad Jadallah, ancien réfugié soudanais, a connu l’expérience des abris PC. Selon lui, revenir à l’utilisation de ces abris pour y loger des personnes migrantes est un pas en arrière. Il est à la base du mouvement «Stop Bunker», qui avait fait grand bruit dans le milieu des années 2000 pour dénoncer l’utilisation de ces abris pour les demandeurs d’asile. «Ces abris ont été construits pour des cas d’urgence. Et pour y vivre pendant deux ou trois semaines au maximum, souligne-t-il. A Genève, j’ai côtoyé des réfugiés qui y séjournaient depuis 13 ou 14 mois. C’était dur. Outre les problèmes de cohabitation – les bagarres étaient fréquentes – il y avait aussi des questions sanitaires, comme les punaises de lit. Où est le sens de l’intégration lorsque l’on loge des gens dans ces abris?»

«Ce n’est pas un accueil digne pour des familles dans notre pays»
Isabelle Moret


Les personnes qui y vivent sont déjà traumatisées par la guerre, poursuit-il. «Il ne faut pas croire qu’elles viennent toutes pour des raisons économiques. La guerre est partout dans le monde.» «Stop Bunker», mené par des requérants d’asile et plusieurs associations, avait permis en 2015 à Genève de ne plus utiliser ces abris pour y loger des migrants. Mais les portes ont été rouvertes depuis l’automne dernier. «Pas pour accueillir des Ukrainiens. Mais des Afghans, des Irakiens…»

Co-curateur d’une exposition qui s’est tenue ce printemps à Lausanne sur les abris PC, Iskander Guetta s’indigne: «Nous plaidons pour rendre publics ces espaces. Mais pas pour y loger des personnes migrantes. Certaines d’entre elles nous ont dit être choquées de se retrouver sous terre et être ignorées. Ce sont des espaces ténébreux qui s’ajoutent à la violence de leurs parcours migratoires.»

Selon l’OSAR (Organisation suisse d’aide aux réfugiés), l’hébergement dans des abris de protection civile «doit rester une mesure d’urgence temporaire et de dernier recours», insiste son porte-parole Lionel Walter. «Dans la mesure du possible, les installations de ce type ne doivent pas être utilisées au maximum de leur capacité. La liberté de mouvement ne doit en aucun cas être limitée, les personnes réfugiées doivent en tout temps pouvoir accéder à l’extérieur. Les familles, enfants et personnes vulnérables ne doivent pas y être logés.»

Samuel Wyss, porte-parole du Secrétariat d’Etat aux migrations, dit que son département utilise depuis des décennies différents types d’hébergement, dont certains abris de protection civile, qui ne sont en principe utilisés que lorsque aucune autre possibilité n’est disponible. Impossible de dire combien de personnes réfugiées ont dû passer par des abris PC. Mais la pratique est toujours en cours. A la mi-juin, 520 personnes sur les 5480 actuellement hébergées dans les structures du SEM l’étaient dans un abri souterrain. «Dans la mesure du possible, les personnes placées dans des installations souterraines sont celles qui obtiennent rapidement une décision», indique Samuel Wyss.

Acceptable selon le tribunal

Des personnes ayant fui l’Ukraine ont été hébergées provisoirement dans de tels abris, bien que les lieux leur fassent penser beaucoup trop à la guerre. Mais c’est le cas de la plupart des demandeurs d’asile, comme le rappelle Mohammad Jadallah.

En 2013, le Tribunal fédéral (TF) a rendu un arrêt, stipulant que les conditions d’hébergement dans un abri PC n’étaient pas si inhumaines. «Les installations de protection civile sont certes des abris d’urgence qui, bien qu’habitables, ne sont pas conçus pour offrir des solutions d’hébergement sur le long terme. Le fait de devoir y séjourner dans le cadre d’une aide d’urgence, en principe transitoire, sans être tenu d’y passer tout ou partie de la journée (pour laquelle des centres d’accueil sont prévus), ne saurait toutefois être considéré comme relevant d’un traitement inhumain ou dégradant pour une personne qui n’est pas spécialement vulnérable.»

Articles les plus lus
Dans la même rubrique
La Liberté - Bd de Pérolles 42 / 1700 Fribourg
Tél: +41 26 426 44 11