La Liberté

L'aventure du vaccin en Allemagne

Les premières doses du vaccin Pfizer-BioNtech sont arrivés dans l'UE samedi. Leur acheminement représente un défi logistique, car il doit être conservé à -70 degrés. © KEYSTONE/EPA/STEPHANE DE SAKUTIN / POOL
Les premières doses du vaccin Pfizer-BioNtech sont arrivés dans l'UE samedi. Leur acheminement représente un défi logistique, car il doit être conservé à -70 degrés. © KEYSTONE/EPA/STEPHANE DE SAKUTIN / POOL


Publié le 27.12.2020


Alors que l'Allemagne, la Hongrie et la Slovaquie ont commencé samedi à vacciner leur population contre le coronavirus et que la plupart des autres membres de l'UE suivront dimanche, retour sur la genèse du vaccin Pfizer-BioNtech.

Un matin d'hiver dans une cuisine en Allemagne, un couple de chercheurs est attablé pour le petit-déjeuner. Özlem Türeci et Ugur Sahin, dirigeants de la start-up de biotechnologie BioNTech, tombent d'accord : "Nous devons donner le coup d'envoi" des recherches sur un vaccin contre un nouveau virus qui sévit en Chine.

Ugur Sahin vient de lire une publication scientifique décrivant la propagation fulgurante de ce virus à Wuhan. "Il en a conclu qu'il y avait de fortes chances qu'une pandémie puisse être imminente", raconte son épouse, Mme Türeci.

"Vitesse de la lumière"

C'est le point de départ d'une épopée qui aboutira à l'élaboration du premier vaccin contre le Covid-19 à être autorisé dans le monde occidental. Une prouesse réalisée en un temps record.

Le 24 janvier, le couple décide donc que toutes les ressources de leur PME, allouées jusqu'ici à la recherche sur les immunothérapies contre le cancer, seront désormais consacrées à mettre au point un remède contre cette pneumonie virale d'origine inconnue.

Il faut aller vite, l'opération est baptisée "Vitesse de la lumière". "Depuis cette date (...), il n'y a pas eu un jour où nous n'avons pas travaillé sur ce projet", affirme Mme Türeci.

Quatre jours plus tard, le 28 janvier, l'Allemagne confirme sur son territoire le premier cas connu de transmission d'être humain à être humain sur le sol européen. Moins de deux semaines plus tard, l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) désigne pour la première fois le nouveau mal: Covid-19.

"Mittelstand"

Le printemps commence à frémir à Mayence, où se situe le siège de BioNTech, quand l'épidémie partie de Chine se transforme en une crise sanitaire mondiale. La flambée des infections contraint les gouvernements à fermer les frontières, les écoles, les institutions culturelles et sportives, les administrations. Le monde est mis sous cloche.

Déjà, le "Mittelstand", ce réseau de petites et moyennes entreprises (PME) qui fait le succès de l'économie allemande, se retrousse les manches pour relever le défi qui s'annonce. A quelques encablures du siège de BioNTech, une PME aux 130 années d'existence accélère la cadence de ses chaînes de fabrication.

Bien que peu connu, le spécialiste du verre Schott s'avère un acteur majeur de l'industrie pharmaceutique grâce à ses flacons utilisés par millions pour les recherches cliniques sur le virus.

Le verre "borosilicate" dont il a fait sa spécialité est très recherché pour sa capacité à résister aux températures extrêmes, allant de -80 à 500 degrés. Une propriété qui va s'avérer indispensable. Le vaccin BioNTech/Pfizer nécessite en effet d'être conservé à -70 degrés. D'ici la fin 2021, Schott compte produire assez de fioles pour deux milliards de doses de vaccin.

Transport pharmaceutique

Partout dans le monde, la pandémie cloue les avions au sol et transforme les aéroports d'ordinaire vibrant de monde en zones mornes et désertées. Mais au centre pharmaceutique de la compagnie de fret Lufthansa Cargo situé dans l'aéroport de Francfort, l'activité s'accélère, le stress monte.

La plus grande plaque tournante européenne du transport pharmaceutique qui a traité 120'000 tonnes de cargaison l'année passée se prépare à faire transiter des millions de doses de vaccin.

Au total, le site possède 12'000 m2 climatisés réservés à ce type de produits. Les températures nécessaires s'obtiennent dans des containers spéciaux grâce à des blocs de glace carbonique, du CO2 en forme solide à -78,9 degrés.

Fraport, l'exploitant de l'aéroport de Francfort, n'est pas la seule entreprise à investir dans la chaîne du froid.

Arctique

Dans le verdoyant Bade-Wurtemberg (sud-ouest), la société Binder, une autre PME allemande inconnue du grand public, entre en scène.

Son savoir-faire? Des "super-congélateurs" dans lesquels "il fait plus froid que dans l'Arctique", selon les médias allemands. De fait, la température dans ces appareils peut descendre jusqu'à -90°.

L'entreprise de Tuttlingen, une des leaders du marché, a d'abord fourni les laboratoires, puis la logistique et travaille désormais avec les autorités allemandes pour équiper les centres de vaccination.

"Tout a commencé en août quand nous avons reçu des demandes de sociétés de logistique (...) elles se sont dits 'nous devons équiper nos centres de stockage de congélateurs'", affirme Anne Lenze, chargée de la communication. Depuis, "la demande est telle que nous travaillons 24 heures sur 24, nous recrutons des employés et nous en cherchons", souligne-t-elle.

Tasse de thé et Lego

Le 18 novembre, à peine dix mois après avoir décidé de se lancer dans l'aventure, BioNTech annonce avec son partenaire américain Pfizer, que son vaccin est sûr et efficace à 95%. Un niveau similaire à celui de la firme américaine Moderna avec qui il rivalise pour développer la technique dite de l'ARN Messager.

Les marchés boursiers s'emballent, le monde entier reprend confiance.

Mais à Mayence, il n'est pas question de céder à l'euphorie. Pour fêter cet événement, le couple Türeci-Sahin s'accorde donc... une tasse de thé. De toute façon, "le champagne, ce n'est pas notre truc", plaisante M. Sahin dans un entretien à l'AFP.

A 600 km de là, dans la capitale allemande, le pompier à la retraite Albrecht Broemme, solide gaillard de 66 ans à la chevelure poivre et sel, s'affaire avec... une boîte de Lego. Chargé de superviser les six centres de vaccination que Berlin veut mettre sur pied dans le cadre d'une campagne nationale, il bâtit une mini-station de vaccination avec comptoir d'enregistrement et allées de circulation.

"J'ai réfléchi à un système en pensant (...) aux espaces nécessaires afin de ne pas créer d''embouteillage'", détaille-t-il devant l'ancien aéroport de Tegel, un des lieux où les Berlinois se feront injecter le vaccin.

Quelque 450 centres de vaccination sont installés dans tout le pays. Le plus grand, situé à Hambourg, pourra effectuer jusqu'à 7000 injections par jour dans les 64 cabines prévues à cet effet.

Autorisation

Le 2 décembre, le Royaume-Uni devient le premier pays occidental à octroyer une autorisation d'urgence au vaccin BioNTech/Pfizer. D'autres pays suivent: les Etats-Unis, l'Arabie saoudite, Singapour. L'Allemagne, frappée de plein fouet par une deuxième vague de contamination, s'impatiente.

Elle fait pression pour que l'autorité de régulation, l'Agence européenne des médicaments (EMA) accélère sa prise de décision prévue alors le 29 décembre au plus tard. Le 21 décembre, avec plus d'une semaine d'avance, l'EMA donne finalement son feu vert. L'Union européenne annonce dans la foulée que la campagne de vaccination débutera le 27 décembre.

Au centre d'Hambourg, les autorités sanitaires affirment être prêtes tandis que BioNTech organise des formations en ligne avec des médecins et infirmières. La firme répond à plus d'un millier de questions des acteurs médicaux.

Premières vaccinations en Allemagne

Les premiers camions chargés de doses de vaccin quittent le centre de production de Pfizer en Belgique mercredi. Elles sont notamment acheminées vers les 25 centres de distribution désignés par les autorités fédérales allemandes qui les transporteront ensuite dans les 294 districts du pays, selon BioNTech.

Tout au long du parcours, des policiers armés escortent les convois. L'Allemagne redoute d'éventuels sabotages alors que la fronde des "anti-vaccin" et de ceux qui ne croient pas à l'existence du virus a gagné en ampleur depuis l'été.

Samedi, une résidente d'une maison de retraite de la région du Sachsen-Anhalt, dans l'est du pays, âgée de 101 ans, est devenue la première personne à être vaccinée en Allemagne. En tout, une quarantaine de résidents et dix soignants devaient être vaccinés samedi, un jour avant le lancement officiel de la campagne programmé pour dimanche dans tout le pays et dans d'autres Etats de l'Union Européenne.

Dimanche, à leur table du petit-déjeuner, Özlem Türeci et Ugur Sahin savoureront peut-être une nouvelle tasse de thé.

ats, afp

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