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Archives épiscopales ouvertes

L’Eglise catholique décidée à faire toute la lumière sur les abus sexuels en son sein

Jean-François Schwab

Publié le 05.04.2022

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Enquête » L’Eglise catholique suisse se dote d’un projet pilote pour faire la lumière sur les abus sexuels commis en son sein. Celui-ci démarrera en mai et prévoit l’ouverture des archives secrètes épiscopales. Les victimes ne se disent que partiellement satisfaites.

«Dévoiler les crimes du passé, ce n’est que justice: le traitement de ce vécu est avant tout un juste dû aux personnes concernées», a déclaré hier à Lausanne devant les médias Mgr Joseph Maria Bonnemain, évêque de Coire et responsable à la Conférence des évêques suisses (CES) de ce dossier.

«Nos communautés ont compté, et comptent toujours, dans leurs rangs de nombreux auteurs d’abus sexuels», a reconnu l’abbé Peter von Sury, représentant de la Conférence des unions des ordres et des autres communautés de vie consacrée en Suisse (KOVOS). «En tant que membres et responsables de ces communautés ecclésiales, nous avons très souvent gardé le silence (…), dissimulé et minimisé les faits (…) et ignoré les victimes (…). Nous étions obnubilés par notre réputation et par le prestige de l’Eglise», a-t-il ajouté.

C’est la première fois que les trois institutions les plus importantes de l’Eglise catholique romaine de Suisse – la CES, la KOVOS ainsi que la Conférence centrale catholique romaine de Suisse (RKZ) – s’expriment à l’unisson sur les cas d’abus.

Indépendance garantie

Le trio s’est dit convaincu de la nécessité d’une enquête scientifique indépendante sur le passé de l’Eglise catholique suisse. Il a confié à deux professeures du Département d’histoire de l’Université de Zurich, Monika Dommann et Marietta Meier, le soin de mener à bien un projet pilote.

Les deux historiennes et leur équipe de quatre chercheurs auront «un accès libre aux dossiers conservés dans les archives secrètes des diocèses», précisent les mandants. Afin de garantir l’indépendance de ce travail, ces derniers se sont engagés par écrit à n’exercer aucune influence sur son contenu ou sa méthode.

Le projet entend «poser les jalons qui permettront d’entreprendre des recherches sur l’histoire de la violence sexuelle exercée par des membres du clergé catholique, des ordres religieux et des employés de l’Eglise en Suisse depuis le milieu du XXe siècle», ont spécifié les historiennes. «L’accent sera mis sur les structures qui ont permis les abus sexuels sur des enfants et des adultes, et qui ont rendu difficiles leur détection et leur sanction.»

Dans cette optique, les historiennes annoncent deux objectifs principaux. Il s’agit d’abord de «clarifier quelles sources existent et sont accessibles», notamment en contactant des témoins et des organisations de victimes, et également de «proposer des méthodes d’investigation en vue de futurs projets de recherche».

Victimes «irritées»

Un comité scientifique indépendant de six personnes, nommé par la Société suisse d’histoire (SSH), conseillera et soutiendra l’équipe de recherche. Ce comité consultatif est présidé par Sandro Guzzi-Heeb, privat-docent à l’Université de Lausanne. «Nous agirons comme un tampon entre le mandant et les chercheurs», a-t-il illustré.

Les associations de victimes, également représentées parmi les intervenants, ont souligné la nécessité d’intégrer des personnes victimes d’abus dès le projet pilote. «Les «expertes», ce sont malheureusement elles», a déclaré Vreni Peterer, du Groupe d’intérêt des personnes concernées par les abus dans un contexte ecclésial (MikU).

Si ce groupe a salué la création du projet, il s’est dit «irrité» qu’il ne s’agisse pour l’heure que d’une étude pilote. «Nous savons tous qu’une telle étude sert à déterminer si un projet doit réellement être lancé», a relevé Vreni Peterer. L’émotion était palpable au sein du public. «A quand une étude précise sur ces abus? Nous attendons depuis plus de onze ans», s’est insurgé un membre du Groupe de soutien aux personnes abusées dans une relation d’autorité religieuse (SAPEC). «Certaines personnes sont encore dans le silence. D’autres arrivent en fin de vie maintenant et disent sur leur lit de mort ce qui leur est arrivé, c’est scandaleux!» Le projet pilote débutera le 1er mai. Ses résultats seront publiés à l’automne 2023. ATS

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