La Liberté

Une figure au-delà de Fribourg

Norbert Wicht est à l’origine de cette année de commémoration des 50 ans de la disparition de Jo Siffert

Norbert 
Wicht, ici 
à l’exposition consacrée 
à Jo Siffert lors de la venue 
de Jackie Stewart 
dimanche 
dernier, est 
intarrissable sur le pilote 
fribourgeois décédé voici 50 ans. © Charles Ellena
Norbert 
Wicht, ici 
à l’exposition consacrée 
à Jo Siffert lors de la venue 
de Jackie Stewart 
dimanche 
dernier, est 
intarrissable sur le pilote 
fribourgeois décédé voici 50 ans. © Charles Ellena

Patricia Morand

Publié le 20.10.2021

Temps de lecture estimé : 8 minutes

Automobilisme »  De tous les hommages au pilote fribourgeois, décédé le 24 octobre 1971, celui du week-end à venir sera sans doute le plus prenant avec un rassemblement au cimetière Saint-Léonard dimanche dès 14 h 18, à l’heure de l’accident fatal à Jo Siffert sur le circuit de Brands Hatch voici 50 ans. A Givisiez, l’exposition consacrée à Seppi a dépassé les 5’000 visiteurs, venus de toute la Suisse et d’au-delà des frontières, au début du mois. Norbert Wicht est à l’origine de cette année commémorative. Le Sarinois de 75 ans, ancien président du Vétéran Car Club suisse romand, le plus grand club de collectionneurs du pays avec 700 membres, explique sa démarche.

Etes-vous fan de Jo Siffert 
ou passionné d’auto?

Norbert Wicht: D’auto depuis ma plus tendre enfance. J’ai dix ans de moins qu’en aurait Jo Siffert, né en 1936, et j’ai commencé à suivre ses exploits à 15 ou 16 ans. Mon fils s’est retrouvé sur les mêmes bancs d’école que Philippe (le fils de Jo, ndlr) et nous avons gardé contact. J’avais organisé les premiers «Jo Siffert Challenge» (rallye historique en 2014, 2015 et 2016, ndlr).

Suiviez-vous des courses 
à l’époque?

Essentiellement en Suisse, car je n’avais pas les moyens d’aller à l’étranger. Les courses de côtes à Villars-sur-Ollon ou aux Rangiers attiraient 10’000 à 15’000 spectateurs. Il n’y avait plus d’épreuves sur circuit depuis 1955 et l’interdiction prononcée par le Conseil fédéral.

Il y a eu des ePrix, à Zurich 
en 2018 et Berne en 2019…

Ce n’est pas très honnête de prétendre que ces manifestations sont écologiques. Personne ne tient compte du nombre de génératrices permettant aux voitures de fonctionner. Si on fait le bilan CO2, entre un vrai grand prix avec moteurs thermiques et des grands prix à moteurs électriques, je ne crois pas qu’il y a de quoi mettre en valeur ce mode de propulsion.

La F1 actuelle vous 
intéresse-t-elle?

Non. Plus de 30 000 personnes se déplaçaient depuis la Suisse à Monza, Dijon ou en Allemagne pour suivre un GP de F1 dans les années septante, à l’époque de Jo Siffert ou Clay Reggazzoni. Aujourd’hui, il y a moins de passion et peut-être aussi trop de courses. Cela a perdu du charme et de l’intérêt.

Jo Siffert comptait sur deux mécaniciens. Aujourd’hui, un pilote de F1 a 600 à 700 personnes autour de lui. Dans les années septante, quelqu’un qui n’avait pas de sous et du talent pouvait monter les échelons et arriver au sommet. Aujourd’hui, il faut certes du talent, mais en plus des sous.

Comment est née l’idée de cette année commémorative?

Convaincu qu’il fallait marquer cet anniversaire, j’ai approché des amis et connaissances dans le milieu de la voiture. Une fois le projet ébauché, j’ai contacté la famille et présenté le concept à Philippe Siffert à la fin du printemps 2020. Ce qui a plu, c’est que les commémorations étaient prévues sur la durée avec cette exposition s’étalant sur 40 semaines entre le 19 mars et le 17 décembre. La durée de l’exposition permet à tout le monde de la visiter, mais aussi d’effectuer des rocades avec les voitures. Nous ne voulions pas faire un salon des voitures de Jo Siffert, mais parler de Jo Siffert et rendre hommage à ses mécaniciens qui sont encore tous vivants, mais aussi deux personnes qui ont cru et soutenu Jo Siffert: Guy von der Weid et Jo Pasquier qui ont toujours été présents et là pour l’aider.

«Dans les années septante, quelqu’un qui n’avait pas de sous et du talent pouvait monter les échelons et arriver au sommet.»
Norbert Wicht

Quel est le coût 
de ces commémorations?

Les couvertures d’assurances pour les voitures mises à disposition représentent les plus grandes dépenses dans notre budget de 70’000 à 80’000 francs. Au comité, nous sommes tous bénévoles. Nous étions prêts à «bletzer» s’il le fallait. Les recettes des entrées devraient nous permettre de nous en sortir. Les gens sortent de l’exposition avec le sourire ou une larme à l’œil. Le sentiment d’avoir fait plaisir à plus de 5000 personnes, c’est une récompense pour les heures passées à monter cette exposition.

A quoi vous attendez-vous 
ce dimanche 24 octobre?

C’est peut-être le jour où nous avons la vision la moins précise, au niveau de la fréquentation. Il ne faut pas que ce soit le chaos. La Landwehr, qui était là à l’enterrement en ville de Fribourg (avec la présence de 50’000 personnes, ndlr), sera présente.
Jo Siffert, c’est une figure dans toute la Suisse et pas seulement au pays de Fribourg. C’est extraordinaire. A l’époque, il était le sportif numéro 1 connu en Europe, au Japon ou aux Etats-Unis. Il a toujours eu le respect des gens de condition modeste, comme lui, qui faisaient leur vie de la façon la plus honnête et correcte possible.

50’000 personnes

se rendirent à l’enterrement du pilote fribourgeois

Avez-vous un vœu?

Nous avons déployé une bâche de 4 m sur 12 à la route Neuve, œuvre d’un artiste qui a repeint le garage de Jo Siffert. Les jardiniers de la ville ont aussi décoré les giratoires en hommage au pilote. Cet engouement me touche. Je n’ai pas interpellé les autorités, mais j’aimerais leur dire qu’il ne faut pas se gêner que Jo Siffert a été Fribourgeois. Au contraire, il faut en être fier. En ville, il y a juste un petit bout d’esplanade à son nom aux Grand-Places. Ce n’est pas à l’image de l’homme qui mériterait quelque chose de plus grand dans la région en reconnaissance de tout ce qu’il a apporté au pays de Fribourg et à la Suisse en général.


«Il n’y avait pas de problèmes, que des solutions»

Norbert Wicht a raconté son Jo Siffert durant plus d’une heure lors de notre entrevue. Impossible de tout compiler dans cette page. Voici quelques morceaux choisis.

Un nom, une marque. «Jo Siffert peut être qualifié de légende. Sur les 5’000 visiteurs de l’exposition, deux tiers ont moins de 65 ans, un tiers plus. Si j’avais dû faire des pronostics, j’aurais plutôt dit l’inverse ou moitié-moitié. Dans les deux tiers des moins de 65 ans, il y a eu beaucoup de jeunes, entre 30 et 40 ans, qui n’ont pas connu le pilote. Nous n’avions pas imaginé qu’une personne décédée depuis 50 ans suscite autant d’émotion et de passion.»

La débrouille. «Jo Siffert vient d’un milieu très modeste. Il avait fait plusieurs jobs, ferrailleur, chiffonnier, etc. Il travaillait aussi le soir, comme chauffeur de taxi jusqu’à 2 h du matin pour gagner quelques sous. Ses premiers salaires ont permis d’aider sa famille. Il y a deux mots que ses mécanos et lui ne connaissaient pas: impossible et renoncer. Il n’y avait pas de problème, que des solutions.»

La valeur des autos. «La rareté et le palmarès d’un véhicule permettent de fixer sa valeur. Ainsi, la Maserati, conduite par Benoît Musy, deuxième pilote fribourgeois auquel nous voulions rendre hommage, vendue par Jo Siffert 5000 francs en 1963 a dû être assurée pour deux millions et demi. La Porsche 917 qu’il conduisait en ville de Fribourg et qui avait été mise à disposition pour le tournage du film Le Mans – avec Steve McQueen – en 1971 s’est vendue dernièrement 14 millions de dollars aux Etats-Unis. Je trouve que ces chiffres astronomiques desservent le milieu de la collection. Ceux qui surenchérissent font plutôt preuve de spéculation que de passion. Mais cela se trouve aussi dans les tableaux ou d’autres milieux.» PAM

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