La Liberté

Une professeure de l’EPFL distinguée

Deux chercheurs lémaniques, dont Maryna Viazovska, ont reçu l’équivalent du Nobel de mathématiques

Publié le 06.07.2022

Temps de lecture estimé : 6 minutes

Lausanne » Deux chercheurs lémaniques, Maryna Viazovska, de l’EPFL, et Hugo Duminil-Copin, de l’Université de Genève (UNIGE), se voient décerner la Médaille Fields. Cette distinction est considérée comme le Nobel des mathématiques.

La Médaille Fields est attribuée tous les quatre ans lors du Congrès international des mathématiciens. Elle a été remise hier à Helsinki aux lauréats lors de l’ouverture du congrès.

A 37 ans, Maryna Viazovska, titulaire de la Chaire d’arithmétique à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), est après Maryam Mirzakhani en 2014 la deuxième femme à recevoir la prestigieuse distinction sur plus de 60 mathématiciens récompensés à ce jour.

«Tour de force»

La Médaille Fields honore la résolution par la jeune professeure, spécialiste de la théorie des nombres, du problème de l’empilement des sphères en dimensions 8 et 24. La question de l’empilement optimal de sphères avec un minimum de vide entre elles – tel que dans une pyramide d’oranges – occupe les mathématiciens depuis déjà plus de quatre siècles.

Maryna Viazovska a réussi un «tour de force» en trouvant «la preuve magique», a dit à l’AFP Renaud Coulangeon, maître de conférences à l’Université de Bordeaux. «C’était une vraie surprise», a renchéri Philippe Moustrou, maître de conférences à l’Université de Toulouse.

La chercheuse a démontré que dans les dimensions 8 et 24, les empilements de sphères se font de façon remarquablement symétrique, suivant des réseaux respectivement appelés réseau E8 et réseau de Leech. Sa démonstration de 23 pages est parue en 2016, lui valant les félicitations de la communauté mathématique et plusieurs distinctions prestigieuses, a indiqué l’EPFL dans un communiqué.

La carrière de la jeune mathématicienne, née à Kiev, en Ukraine en 1984, a été précoce et passionnée. Après un bachelor à l’Université nationale Taras Shevchenko de Kiev, elle poursuit son Master en Allemagne, à l’Université de Kaiserslautern (2007), avant de rejoindre celle de Bonn. Là, elle obtient son doctorat en 2013.

Entre-temps, elle est devenue maman. En décembre 2016, elle choisit de rejoindre l’EPFL, en tant que professeure assistante tenure-track. A peine un an plus tard, âgée tout juste de 33 ans, elle est nommée professeure ordinaire.

«L’avenir qui meurt»

«Je viens de Kiev, en Ukraine, et en février ma vie a changé pour toujours. Pas seulement la mienne, mais celle de tout le monde et particulièrement des gens de mon pays», a réagi la lauréate dans une courte vidéo accompagnant la remise de son prix à Helsinki.

Ses parents et sa sœur vivaient à Kiev, et, quand la guerre a éclaté, elle «ne pouvait plus penser à rien d’autre, y compris les mathématiques». Elle dit alors avoir réalisé «à quel point» elle s’était trompée en tenant la paix pour acquise.

Elle a dédié un cours à une jeune mathématicienne et informaticienne, Yulia Zdanovska, qui avait eu les mêmes professeurs qu’elle. Yulia «a été tuée dans une attaque de missiles à Kharkiv dans les premiers jours de la guerre», a dit Mme Viazovska. «Quand quelqu’un comme elle meurt, c’est comme l’avenir qui meurt.» Et d’ajouter que «le fait que des rêves comme ça ne se réalisent pas est terrible».

Expert en probabilités

Egalement à l’honneur, Hugo Duminil-Copin, 36 ans, est professeur ordinaire à la Section de mathématiques de la Faculté des sciences de l’Université de Genève (UNIGE) et professeur permanent à l’Institut des hautes études scientifiques de l’Université Paris-Sarclay.

Ses travaux portent sur la branche mathématique de la physique statistique. Il étudie les transitions de phases – les changements brusques des propriétés de la matière, comme le passage de l’état gazeux à l’état liquide de l’eau – en faisant appel à la théorie des probabilités.

Né en 1985 à Châtenay-Malabry (F), M. Duminil-Copin a grandi en région parisienne. Il entre en 2005 à l’Ecole normale supérieure de Paris. Agrégé de mathématiques et titulaire d’un master de probabilités et statistiques de l’Université Paris-Saclay, il rejoint l’UNIGE en 2008 pour y effectuer sa thèse de doctorat, qu’il obtient en 2011, sous la direction du professeur Stanislav Smirnov, lui-même médaillé Fields en 2010.

L’UNIGE le nomme professeur en 2013 puis professeur ordinaire en 2014, à seulement 29 ans. Il rejoint en parallèle l’Institut des hautes études scientifiques à Bures-sur-Yvette (Paris) en 2016. Il a été distingué par de nombreux prix, dont le prix de la Société mathématique européenne et le prix New Horizons in Mathematics de la Fondation Breakthrough.

C’est la quatrième fois qu’un professeur ou un ancien étudiant de l’UNIGE reçoit la médaille Fields, après Vaughan Jones en 1990, Stanislas Smirnov en 2010 et Martin Hairer en 2014.

Deux autres lauréats

Les deux autres lauréats de cette récompense sont le chercheur basé aux Etats-Unis June Huh et le Britannique James Maynard. Professeur à l’Université de Princeton aux Etats-Unis, l’Américain de 39 ans a été sélectionné pour avoir «transformé» le domaine de la géométrie combinatoire, «en utilisant des méthodes de la théorie de Hodge, la géométrie tropicale et la théorie des singularités».

Le Britannique de 35 ans James Maynard est professeur à l’Université d’Oxford au Royaume-Uni. Il reçoit la médaille «pour (ses) contributions à la théorie analytique des nombres, qui ont mené à des avancées majeures dans la compréhension de la structure des nombres premiers et dans l’approximation diophantienne».

Créée par le mathématicien canadien John Charles Fields (1863-1932), la Médaille Fields est attribuée tous les quatre ans depuis 1936, avec un maximum de quatre lauréats par édition. Elle ne peut être décernée qu’à des personnes de moins de 40 ans. Chaque lauréat reçoit une médaille et 15 000 dollars canadiens. ats

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