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La Frayère retape l’habitat des truites

La population des truites recule à grands pas. Des bénévoles tentaient d’y remédier samedi sur la Glâne

Opération truites, par La Frayère; des bénévoles de l'association vont augmenter les profondeurs et les courants d'un tronçon de 120 mètres dans la Glâne, afin de permettre à la truite de coloniser à nouveau ce tronçon de rivière très canalisé. © Charly Rappo - La Liberté
Opération truites, par La Frayère; des bénévoles de l'association vont augmenter les profondeurs et les courants d'un tronçon de 120 mètres dans la Glâne, afin de permettre à la truite de coloniser à nouveau ce tronçon de rivière très canalisé. © Charly Rappo - La Liberté

Stéphane Sanchez

Publié le 05.09.2021

Temps de lecture estimé : 7 minutes

Villaz-Saint-Pierre » Des souches, des troncs d’épicéas, des fagots de noisetiers, et la vie des truites peut reprendre. Cette recette simple en apparence, l’association pour la protection des rivières La Frayère l’appliquait samedi sur un tronçon de la Glâne, près du Vivier, à Villaz-Saint-Pierre. Les ouvriers: une vingtaine de pêcheurs ou sympathisants, armés de masses, de pelles, de pioches, de barres à mines et de tronçonneuses, mais aussi d’une pelle mécanique et d’un tracteur.

L’opération est orchestrée par Cédric Barras. Un manuel de 136 pages de la Fédération suisse de pêche (FSP), Les pêcheurs aménagent l’habitat, a inspiré ce Fribourgeois, membre du comité de La Frayère et codirecteur de Just-Fishing. «Consulté, le Service de la forêt et de la nature nous a proposé d’intervenir ici, sur la Glâne. Trois tronçons étaient candidats – les deux autres près de Romont, en amont et en aval de la STEP. Nous avons fait des pêches électriques cet été. Le bilan ici, près du Vivier, était au plus bas: seulement 148 truites (2384 grammes en tout) concentrées sur une petite portion de ces 100 mètres, réputés poissonneux. Rien sous le pont, malgré l’ombrage. Les précipitations de ces derniers mois laissaient supposer un meilleur bilan. C’est ici qu’il y a le plus gros potentiel d’amélioration.»

Réveiller le lit

Il suffit de voir le canal: 30 cm d’eau coulent en un flux totalement rectiligne entre des berges régulières, sur un lit plat et partiellement colmaté. Deux arbres, pas plus. «Ici, la température de l’eau dépasse les 24 °C, alors qu’elle est à 16 °C à la sortie de la forêt à Siviriez. A 20 °C, les truites arrêtent de s’alimenter. A 25 °C, le risque de mortalité est de 80%», note Cédric Barras.

«Ça devrait tenir cinq ans à dix ans.»
Cédric Barras


Après autorisation de la commune et de l’agriculteur voisin, l’équipe a décidé de travailler in stream (dans le courant), sans toucher aux berges. A disposition: des pieux de 4 à 6 mètres, trop gros et qu’il faudra retailler à la tronçonneuse, des troncs avec leur souche échevelée, et des noisetiers – une équipe les liera en gros fagots (des fascines).

Et les ouvrages apparaissent peu à peu sous le soleil, à force de sueur et de soif. Selon un plan précis, l’équipe enterre partiellement des troncs dans le lit, pour concentrer, rediriger ou accélérer le courant et offrir des caches. Des fascines en épis freinent l’eau et créent des zones de calme, juste en aval: le flux y creusera de petites fosses, sans attaquer les berges. «Cette profondeur donnera de la fraîcheur.» Un goulet propulse l’eau sous «le pont des belles». Une dynamique variée va naître.

Tout est solidement ancré par des pieux, à deux mètres de profondeur environ – il faut parfois toute la puissance de la pelle mécanique fournie par une entreprise de renaturation, Pro Paysages, pour les planter. Les troncs des souches sont enfouis dans la berge et arrimés. «Ça devrait résister aux crues et tenir cinq à dix ans. On espère aussi que ces obstacles retiendront le bois charrié. Aucun risque de barrage. Et nous avons veillé à ne pas boucher ou ensabler les bouches d’évacuation existantes», note Cédric Barras.

30’000

Francs pour le coût total de l’opération financée par l’Etat

Concret et participatif

Résultat escompté de cette opération, en partie soutenue par l’Etat? Davantage de vie sous l’eau, plus de truites, chevaines, loches et vairons, mais aussi d’insectes et d’oiseaux. «Les truites ont du mal à enfouir leurs œufs, qui finissent par être asphyxiés. Il y aura un meilleur renouvellement du lit», relève Romain Dubuis, doctorant à l’EPFL (il prépare une thèse sur le colmatage des rivières). Le jeune homme est venu en observateur actif, comme son collègue Robin Schroff, assistant scientifique à l’EPFL: «Avec peu, on peut déjà faire bien. Et je trouve le côté participatif du projet cool. On ne se contente pas de déléguer le travail à une entreprise. Cela permet aux gens de voir concrètement comment améliorer l’état des rivières.»

«Les effets devraient se ressentir sur environ 500 mètres de rivière», ajoute un membre, Jorge Manuel de Jesus. «On nous a dit qu’il ne fallait pas se faire trop d’espoirs. Mais on va se laisser surprendre.» Une pêche électrique sur site et aux environs, l’été prochain, permettra de mesurer cette surprise.

Avant huitante ans

«C’est une première dans le canton», rebondit Pascal Vonlanthen. Le président de La Frayère ne connaît qu’un autre exemple sur la Versoix (GE), mais cette pratique a déjà été appliquée avec succès outre-Sarine. «Ça ne remplacera pas une vraie renaturation.»

La Frayère a examiné la qualité de l’habitat piscicole de toute la Glâne. «Ici, il faudrait restaurer la zone humide. Ce n’est pas simple.» Car ce secteur, où la Glâne sinuait joyeusement dans une plaine marécageuse au XIXe siècle, est aujourd’hui consacré à l’agriculture. Certes, dans le sillage de l’initiative «Eaux vivantes» de la Fédération suisse de pêche, la Suisse s’est engagée à assainir 4000 kilomètres de cours d’eau… mais dans les 80 prochaines années. «La Glâne est en priorité 1, mais cela risque de durer», note Pascal Vonlanthen, «Alors, aménager l’habitat, c’est déjà un premier pas. On pourrait en faire de même ailleurs, si c’est probant et si des gens très motivés se manifestent.»

Une course contre la montre est lancée

«Les populations de truites sont en chute depuis des années et la situation est depuis longtemps inquiétante», indique Manuel Pompini, inspecteur de la pêche et biologiste auprès du Service des forêts et de la nature. En eaux fribourgeoises, le nombre de captures est passé de 40 000 en 1990 à environ 7000 en 2019 (les données 2020 ne sont pas encore disponibles). Cette tendance s’observe dans tout le pays.

«Les problèmes identifiés il y a bientôt 20 ans sont toujours d’actualité, malheureusement», note le biologiste, qui évoque l’artificialisation du milieu et l’endiguement des cours d’eau, devenus monotones, et où les truites sont confinées en raison des entraves migratoires. La qualité générale de l’eau (températures et pollutions) contribue à ce recul, tout comme la disparition des insectes – nourriture des truites – et les maladies, notamment la maladie rénale proliférative (MRP) «qui affecte les truites quand l’eau est trop chaude».

Pour y remédier, «il faudrait redonner aux cours d’eau toute leur liberté et revoir toute l’utilisation de produits chimiques dans l’agriculture et l’industrie. Des revitalisations sont en cours, mais le facteur temps combiné au réchauffement climatique ne parle pas en faveur des poissons. Si les températures estivales continuent à augmenter, la truite et tous les salmonidés disparaîtront de nos latitudes. On a une chance de gagner ce contre-la-montre, si l’on améliore rapidement leur habitat. L’intervention de La Frayère est donc justifiée. Elle a aussi le mérite de sensibiliser les pêcheurs et la population.» SZ

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