La Liberté

«J’ai cherché toute l’aide que j’ai pu»

Gérant l’Auberge communale de Villeneuve, Christian Iber remet les clés en raison de la crise sanitaire

Christian Iber gérait l’Auberge communale depuis deux ans. Il estime que la potentielle réouverture des terrasses le 22 mars n’aurait rien changé, l’auberge n’ayant qu’une petite terrasse. © Charly Rappo
Christian Iber gérait l’Auberge communale depuis deux ans. Il estime que la potentielle réouverture des terrasses le 22 mars n’aurait rien changé, l’auberge n’ayant qu’une petite terrasse. © Charly Rappo

Lise-Marie Piller

Publié le 17.03.2021

Temps de lecture estimé : 8 minutes

Gastronomie » «Ohhh nooon! Trop triste pour vous!!!», «voilà», «on va aller manger où des pâtes à 22 h maintenant?», «bon courage pour la suite». Ces messages ont été postés par des internautes sur la page Facebook de l’Auberge communale de Villeneuve. Le cœur lourd, le patron Christian Iber a en effet annoncé la fermeture définitive pour ce samedi, comme l’a appris La Liberté. Le Covid-19 et les mesures sanitaires ont eu raison de l’établissement que le cuisinier gérait depuis deux ans.

 

Chers amis et clients Facebook, C' est avec le coeur lourd que nous fermons l'auberge communale définitivement le 20...

Publiée par Auberge Communale Villeneuve -Fribourg sur Lundi 8 mars 2021


En cet après-midi de mars, la salle du restaurant offre un pauvre spectacle. Les tables brillent par leur absence, et des cartons s’empilent dans un coin. Au fond, des verres sont alignés pour l’inventaire. Les tables élégantes qui se dressaient là, dont Christian Iber montre des photos sur son natel, ne sont plus qu’un souvenir. De telles fermetures seront hélas de plus en plus courantes, estime le cuisinier de 40 ans, qui a accepté de témoigner.

Arrêter avant la faillite

«Ma fiduciaire m’a dit que si je continuais comme ça, la situation ne pouvait qu’empirer et qu’il valait mieux arrêter avant la faillite», explique Christian Iber. La voix ferme, les phrases concises, ce Franc-Comtois (F) d’origine semble prendre les choses avec résignation. De la colère? Il dit en ressentir, mais ne la montre pas. Quant à son émotion, elle transparaît à travers ses mots: «C’est très dur. D’autant plus que mon rêve était d’avoir mon propre restaurant. Mais je ne suis pas près de rouvrir quelque chose», lâche-t-il, évoquant sa cuisine simple mais soignée avec des produits frais et locaux.

Lui-même a pourtant bataillé pour sauver l’établissement. «J’ai cherché toute l’aide que j’ai pu», raconte-t-il en montrant des documents soigneusement classés. Il a obtenu quelques indemnités pour réduction d’horaire de travail (RHT) pour ses deux employés (dont sa compagne). La commune, propriétaire des lieux, n’a pas réclamé de loyer les mois de fermeture. Christian Iber a aussi reçu un prêt Covid de 15’000 francs qui lui aurait permis de se remettre à flot s’il avait pu garder son restaurant ouvert. Mais la fermeture survenue dès décembre a été fatale.

Le problème est que Christian Iber n’a obtenu aucune autre aide non remboursable en dehors des RHT et du geste communal. Il s’est notamment vu refuser une allocation pour perte de gain par la caisse de compensation Gastrosocial, comme l’indique un document que La Liberté a pu consulter. Le tenancier n’a pas fait recours, disant ne pas s’y connaître en affaires juridiques. Il n’a pas reçu de RHT pour novembre, décembre 2020 ainsi que janvier 2021. «J’ai dû payer les salaires de ma poche. Quand on n’a rien, cette somme représente beaucoup. Nous sommes une petite entreprise.»

Les plats du jour à l’emporter mitonnés à la requête de la commune n’ont pas vraiment aidé, faute de demande. Et ce malgré la publicité postée sur les réseaux sociaux et le fait que le cuisinier se soit mis aux pizzas. «Hier, j’ai vendu deux repas à midi. Mais que j’en fasse deux ou vingt, je dois tout allumer. Et je suis parfois obligé de jeter des marchandises. Je travaille 7 jours sur 7, tout seul, depuis un an.» Le succès n’a pas plus été au rendez-vous lors de l’ouverture en été 2020, étant donné que cette période correspond à la basse saison pour l’auberge. L’automne a cependant mieux fonctionné.

Dure recherche d’emploi

Pour pouvoir payer ses factures, la TVA ou encore les fournisseurs, Christian Iber s’est endetté. «Le peu que j’avais est passé dans le restaurant. Je ne dois pas être loin des 30 000 francs de dettes, avec le prêt Covid de 15 000 francs compris», estime-t-il, précisant qu’il peut compter sur l’aide de sa famille. Il n’a pas demandé de bouée de sauvetage à la commune, qu’il tient à remercier, jugeant qu’elle l’a déjà bien soutenu.

«Hier, j’ai vendu deux repas à midi. Mais que j’en fasse deux ou vingt, je dois tout allumer. Et je suis parfois obligé de jeter des marchandises. Je travaille 7 jours sur 7, tout seul, depuis un an.»
Christian Iber


Quant au futur, Christian Iber, sa compagne et leur fils vont déménager, étant donné que l’appartement allait de pair avec l’Auberge communale. «J’ai trouvé une place dans un établissement mais tant qu’il est fermé, je ne peux pas être embauché. Après, si je dois aller travailler à l’usine, je le ferai. Il faut vivre», lâche-t-il, précisant qu’en tant qu’indépendant, il n’a pas le droit au chômage. Pour sa part, le syndic Jean-Michel Wyssa indique que la commune cherchera un nouveau gérant.


Le parcours du combattant pour des allocations

La caisse de pension Gastrosocial explique pourquoi elle n’a pas accordé d’allocation pour perte de gain à Christian Iber.

Si Christian Iber n’a pas pu toucher d’allocation pour perte de gain, c’est parce que le revenu imposable qu’il avait estimé pour 2019, année au cours de laquelle il a repris l’Auberge communale de Villeneuve, était de zéro franc: «Lorsqu’ils ouvrent un restaurant, les indépendants ont tendance à nous donner un chiffre prudent pour ne pas avoir à payer beaucoup de cotisations AVS la première année», explique Felix Schwan, responsable du service clientèle de la caisse de compensation Gastrosocial, à laquelle le cuisinier est affilié. Une action d’autant plus logique qu’un établissement n’est souvent pas encore rentable et que l’argent emmagasiné couvre l’achat des produits, les salaires des employés, etc. Ce que confirme Christian Iber. Mais cette manière de faire s’est retournée contre les gérants avec l’arrivée du Covid-19. Comme Gastrosocial doit se baser sur les revenus estimés pour 2019 pour verser une allocation pour perte de gain, elle n’a rien pu donner à Christian Iber. Le seul moyen aurait été d’avoir «la communication fiscale AVS 2019 de l’office d’impôt», qui établit le revenu officiel. Mais celle-ci aurait dû être établie avant la demande d’allocation pour perte de gain. «Une correction rétroactive n’est pas possible», précise Felix Schwan.

Pour sa part, Pierre Vaudan, chargé de communication de la Direction de l’économie et de l’emploi du canton de Fribourg ne peut pas indiquer pourquoi Christian Iber n’a pas reçu d’indemnités pour réduction d’horaire de travail (RHT) entre novembre et janvier: «Nous ne communiquons pas sur des cas particuliers afin de respecter la protection des données. Ce que l’on peut toutefois dire, c’est qu’un certain nombre d’entreprises, dont des restaurateurs, disposaient d’un préavis RHT valide en fin d’année passée, mais ne l’ont pas renouvelé, pensant à tort que cette démarche s’effectuait automatiquement.»

Christian Iber répond qu’il a renouvelé sa demande et estime avoir été dans les temps. LMP


Beaucoup de repreneurs

Il n’y a pas eu davantage de cessations d’activité entre novembre et aujourd’hui dans les établissements publics, toutes patentes confondues, que lors d’une année normale, selon Alain Maeder, chef du Service de la police du commerce du canton de Fribourg, qui n’explique pas ce phénomène. En tout, quelque 123 responsables ont annoncé la cessation de leurs activités ces cinq derniers mois. «Nous n’avons reçu qu’une seule annonce officielle de faillite parmi ces établissements. D’autres faillites interviendront peut-être encore, mais il est prématuré de l’affirmer. Je ne dispose en revanche d’aucune donnée qui me permettrait de fournir une proportion de fin d’activité en lien direct avec la pandémie», indique le chef de service. A noter que pour bon nombre de ces établissements, un repreneur a déjà effectué les démarches en vue de l’obtention d’une patente. LMP

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