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Dangereuses amours pour les crocos

Le crocodile cubain, déjà menacé, risque de disparaître en raison de son hybridation

Jaune et noir, le crocodile cubain est plus petit que son cousin américain. © AdobeStock
Jaune et noir, le crocodile cubain est plus petit que son cousin américain. © AdobeStock

Katell Abiven

Publié le 03.08.2021

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Animaux » Il peut y avoir des inconvénients à être courtisé quand on est une espèce en danger d’extinction comme le crocodile cubain. Soumis aux ardeurs de son cousin américain, l’animal est menacé d’hybridation. Mais les scientifiques se demandent s’il ne faut pas laisser faire la nature.

C’est le jour de la chasse aux œufs, dans le parc d’élevage de crocodiles de la réserve naturelle Ciénaga de Zapata, au centre-sud de l’île cubaine. Dans chaque enclos où les animaux sont en semi-liberté, un petit groupe d’employés, cerné par des nuages de moustiques, repère les monticules de terre où les femelles crocodiles ont caché leurs œufs.

L’objectif est de les retirer soigneusement pour les emmener en couveuse, où leurs chances de survie sont multipliées. «Voler» les œufs d’une mère crocodile n’est pas si simple: celui chargé de creuser le monticule est entouré de cinq hommes, armés de bâtons pour repousser les animaux aux dents pointues, cachés sous les hautes herbes ou pouvant surgir de l’eau à tout moment.

Un hybride sur deux

«Il faut faire très attention, car les animaux t’attaquent», explique Gustavo Sauza, 42 ans dont 23 passés à travailler au parc comme vétérinaire. Transportés dans des bidons, les œufs passeront 80 à 85 jours en couveuse avant d’éclore.

Entre 500 et 1000 crocodiles naissent chaque année dans le parc, permettant de maintenir la population autour de 4500 et d’en relâcher une centaine par an dans la nature, où ils seraient environ 3000. Mais dans la Ciénaga de Zapata, unique habitat du crocodile cubain, s’aventure une espèce voisine, le crocodile américain, venu des côtes de l’île pour se reproduire avec lui.

Dans cette zone marécageuse, un sur deux serait déjà un hybride. Jaune et noir, le crocodile cubain (Crocodylus rhombifer) est plus petit, haut sur pattes, et réputé agressif. L’exemplaire américain (Crocodylus acutus), présent en Amérique centrale, à la pointe de la Floride et dans plusieurs îles des Caraïbes dont Cuba, est plus timide, de couleur plus foncée.

Le premier ne navigue qu’en eau douce, le second passe tranquillement de mer en rivière. Les connaisseurs les distinguent au premier coup d’œil, «bien sûr!», dit Jorge Luis Monero, 56 ans, employé du parc depuis 1987.

Symbole de Cuba

«Dans les Amériques, il n’y a pas d’autres crocodiles qui ressemblent à celui de Cuba», assure-t-il, portant dans ses bras un jeune animal de 4-5 ans, muselé par sécurité. Long d’une cinquantaine de centimètres, «il a les yeux verts, car il est petit», ensuite ils vireront au noir. «Chez le crocodile américain, cela ne change jamais. Ils seront toujours verts», explique Jorge Luis, qui rappelle que le crocodile, «c’est ce qui symbolise l’île de Cuba», car sa forme ressemble au corps de l’animal.

L’hybridation est une «menace» tout comme le braconnage et la réduction de son habitat naturel, souligne Etiam Pérez-Fleitas, 42 ans, spécialiste en espèces exotiques du parc. En jeu, la «perte d’identité» de l’espèce cubaine, classée en danger critique d’extinction par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), raconte l’expert.

Pour y remédier, une étude génétique en 2008 a permis d’exclure les crocodiles hybrides de la reproduction dans l’élevage. «Mais il faut rappeler que l’hybridation a aussi joué un rôle dans l’évolution, dans l’apparition de nouvelles espèces», note Etiam: si le phénomène est provoqué par l’homme, alors il faut le freiner. Si ce mariage est l’œuvre de la nature, peut-être faut-il juste ne rien faire.

Plans à très long terme

Et l’hybride qui en résulte pourrait être une espèce plus résistante, combinant l’agressivité du modèle cubain et l’adaptabilité de l’américain.

«Nos recherches se concentrent sur la recherche de preuves confirmant que c’est une hybridation naturelle» – dans des fossiles qui montreraient que le mélange est ancien –, juste accélérée par l’activité humaine comme la construction de canaux à travers l’île.

Les scientifiques avancent prudemment pour éviter toute décision précipitée. Face à une bête qui vit jusqu’à 70 ans en captivité, il vaut mieux avoir «des plans à très long terme», sourit Etiam.

Pour l’instant, c’est le crocodile cubain qui est choyé, mais «peut-être que dans 100 ans, on dira que ce sont les hybrides qu’il faut conserver!» AFP/ATS

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