La Liberté

Quand Japon rime avec discrimination

L’article en ligne » Pour ce troisième épisode nippon, notre chroniqueuse a interviewé deux étudiant·e·s de l’université de Kumamoto sur le sujet des discriminations vécues par des Japonais·e·s au Japon.

Lisa (au centre) discutant avec deux amies au Centre international de l’université de Kumamoto. © Lise Schaller
Lisa (au centre) discutant avec deux amies au Centre international de l’université de Kumamoto. © Lise Schaller

Lise Schaller

Publié le 05.12.2022

Temps de lecture estimé : 4 minutes

Toute personne au faciès non-japonais déambulant au pays du soleil levant l’aura remarqué : au Japon, difficile de passer inaperçu·e quand on n’a pas vraiment « l’air japonais ». J’ai modifié cette phrase dix fois pour l’enrober dans du vocabulaire
politiquement correct, avant de revenir à la phrase de départ, pour une raison simple : elle décrit au mieux le sentiment vécu sur place. Peu importe votre niveau de japonais, il est plus que probable que parfois, on vous réponde en (mauvais) anglais, qu’on vous demande d’où vous venez, ou qu’on vous traite par défaut comme une personne ignorante des coutumes locales. En ce qui me concerne, comme je suis effectivement étrangère, que je vis dans la région depuis seulement deux mois, et que je fais assez de faux pas culturels pour conforter les Japonais·e·s concerné·e·s dans leur image toute faite d’une étrangère, je ne leur en tiens pas trop rigueur.

C’est cependant une tout autre paire de manche pour de nombreuses personnes immigrées de longue date ainsi que pour les Japonais·es issu·e·s de familles mixtes. J’en ai parlé avec Lisa et Takaki, deux étudiant·e·s assidu·e·s de la question. Lisa Sato, 19 ans, est originaire de Nagasaki. Takaki Shimokawa, 22 ans, a émigré au Japon à 14 ans. Ils ont un point commun : une mère japonaise, et un père étranger – américain pour Lisa, taiwanais pour Takaki.

Lisa débute avec une confidence qui m’attriste : « À l’école primaire, j’enviais les personnes qui avaient deux parents japonais·e·s. Juste parce que mon père était américain, on me demandait souvent si je venais des États-Unis. Jusqu’à aujourd’hui, on attend de moi que je parle parfaitement anglais. » Depuis qu’elle a déménagé à Kumamoto, ville connue pour être plutôt traditionaliste, les occurrences vont à la hausse. « De nombreuses personnes me parlent en anglais et complimentent mon japonais, comme si ça ne pouvait pas être ma langue maternelle. » En plein milieu de l’interview, une étudiante inconnue au bataillon s’approche de notre table et demande à Lisa de jeter un coup d’œil à sa lettre de motivation – lettre écrite en anglais. Une fois l’étudiante partie, Lisa se tourne vers moi, commentant la situation : « Voilà, ce sont des choses qui arrivent. »

Elle se souvient : « Un jour, je suis allée ouvrir un compte en banque avec ma mère. On m’a demandé ma carte de résidence. » Uniquement les personnes non citoyennes, donc n’étant pas titulaires d’un passeport japonais, possèdent une carte de résidence. Takaki de réagir : « Ce genre de situations arrive parce que des gens font des suppositions sur la langue d’une personne en fonction de son apparence. J’appelle cela du racisme. » Il dit être fier de ses deux origines et ne pas ressentir le besoin d’être « 100% japonais » : « je parle couramment japonais et j’ai un nom japonais, mais il m’arrive de ne pas me sentir tout à fait à l’aise dans la société japonaise. Je ne veux pas pour autant devenir une autre personne que celle que je suis aujourd’hui, issue d’une famille mixte. »

Takaki est étudiant en droit et fait de la recherche sur la politique éducative en soutien à l’apprentissage des enfants issus de l’immigration au Japon. Il a dit avoir choisi ce sujet en lien avec sa propre expérience dans une famille mixte. D’après lui, les statistiques font acte d’une inégalité nette quant au niveau d’éducation postscolaire, mais pas seulement : « de nombreux enfants étrangers ne bénéficient toujours pas d’un enseignement obligatoire au Japon, ce qui constitue une violation du droit international. De plus, cette situation est liée à de nombreux problèmes tels que la pauvreté, la violation des droits des femmes et la criminalité. » La société japonaise a donc un bout de chemin à faire non seulement pour régler les discriminations liées à l’apparence, mais aussi le droit à l’éducation et l’égalité des chances quant aux études et à l’emploi pour tous·tes ses habitant·e·s.

Lisa mise elle aussi sur l’éducation de la jeunesse : « J’ai remarqué que quand les gens vivent dans un environnement mixte dès l’enfance, ils sont plus ouverts d’esprit. C’est un sujet important pour moi et j’ai envie de changer la société. »

Articles les plus lus
Dans la même rubrique
La Liberté - Bd de Pérolles 42 / 1700 Fribourg
Tél: +41 26 426 44 11