La Liberté

Conflits: éviter l’humiliation

Jacques de Coulon

Publié le 19.05.2022

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Opinion

Le regretté Jean Baeriswyl, ancien recteur du Collège Saint-Michel, me donna ce précieux conseil lorsque j’accédai à mon tour à la direction: «Tu devras souvent gérer des conflits. Dans ce cas, veille à ce que personne ne perde la face!» Tout le monde n’a certes pas raison. Mais il faut toujours laisser une porte de sortie à celui qui a commis une erreur. En le rabaissant, on l’enferme dans la situation, ce qui ne fera qu’accroître son ressentiment qui pourra se traduire plus tard de façon violente. Chacun peut changer et progresser. Refuser cette vérité, c’est nier la liberté humaine. L’expérience m’a aussi appris que dans un litige, personne n’est totalement blanc ou noir. Il n’y a que des nuances de gris.

Il en va de même sur le plan des nations. Hitler n’a-t-il pas exacerbé la rancœur du peuple allemand après la défaite de la Première Guerre mondiale? Emmanuel Macron, conscient des ravages potentiels des vexations, suit la recommandation de Jean Baeriswyl quand il proclame ce 9 mai: «La paix ne se construira pas dans l’humiliation de la Russie.» Diaboliser les Russes ne peut que les souder autour de leur président et les renforcer dans un sentiment de persécution. Or c’est malheureusement ce que nous sommes en train de faire. Un exemple: en Vendée, on veut débaptiser le Collège Alexandre Soljenitsyne pour lui donner le nom d’un anarchiste ukrainien! Soljenitsyne avait pourtant lutté contre les goulags, mais on lui reproche d’avoir trop aimé la Russie!

D’autres interdisent aux musiciens russes de s’exprimer. Ira-t-on jusqu’à censurer les auteurs russes, comme Dostoïevski ou Tolstoï, qui comptent parmi les plus grands romanciers de la planète? Quant aux sanctions économiques, beaucoup craignent qu’elles touchent davantage les classes défavorisées que les caciques au pouvoir. Sans compter qu’elles nous prétéritent aussi, nous autres Européens.

L’attitude des Américains renforce aussi cet ostracisme envers la Russie. Le président Biden qualifie son homologue Poutine de «boucher», disant que «pour l’amour de Dieu, cet homme ne peut rester au pouvoir». Il souhaite mettre la Russie à genoux, au risque de provoquer une réaction désespérée d’un régime acculé, mais possédant l’arme fatale. Ce faisant, il se situe loin d’un Macron qui, lui, cherche à maintenir le contact avec Poutine. Qui a raison? Seul l’avenir le dira. Mais une chose est sûre: il faut absolument distinguer le peuple russe du régime autoritaire et agressif qui le gouverne. Tous les Russes ne sont pas pour la guerre en Ukraine. Beaucoup aussi sont en ce moment aveuglés par la propagande du Kremlin.

Et les Américains sont-ils pour autant blancs comme neige? Eux aussi ont envahi l’Irak sous une fausse raison et des civils sont morts. On parla de «dommages collatéraux» et non de crimes de guerre, comme si le langage pouvait blanchir l’horreur des combats. Bref, l’Europe ne devrait pas s’aligner sans discernement sur les USA.

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