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Menacée de dissolution, l'ONG russe Memorial se défend au tribunal

L'avocat de l'ONG Memorial International, Henry Reznik, peu avant l'ouverture de l'audience. Créé en 1989, Memorial a commencé son travail en documentant les crimes staliniens et le Goulag. © KEYSTONE/EPA/MAXIM SHIPENKOV
L'avocat de l'ONG Memorial International, Henry Reznik, peu avant l'ouverture de l'audience. Créé en 1989, Memorial a commencé son travail en documentant les crimes staliniens et le Goulag. © KEYSTONE/EPA/MAXIM SHIPENKOV
L'avocat de l'ONG Memorial International, Henry Reznik, peu avant l'ouverture de l'audience. Créé en 1989, Memorial a commencé son travail en documentant les crimes staliniens et le Goulag. © KEYSTONE/EPA/MAXIM SHIPENKOV
L'avocat de l'ONG Memorial International, Henry Reznik, peu avant l'ouverture de l'audience. Créé en 1989, Memorial a commencé son travail en documentant les crimes staliniens et le Goulag. © KEYSTONE/EPA/MAXIM SHIPENKOV


Publié le 25.11.2021


L'emblématique ONG russe Memorial a appelé jeudi les autorités à abandonner les poursuites la menaçant de dissolution, à l'ouverture d'un procès symbolique des pressions contre la société civile devant la Cour suprême.

Cette affaire s'inscrit dans un contexte de répression croissante contre des voix critiques du pouvoir, avec notamment la fermeture de médias indépendants et d'ONG, et le démantèlement du mouvement de l'opposant emprisonné Alexeï Navalny.

Le Parquet réclame l'interdiction de Memorial International, structure centrale de Memorial qui coordonne le travail du réseau de la plus célèbre ONG russe, l'accusant d'avoir violé une loi controversée sur les "agents de l'étranger".

Plusieurs cofondateurs de Memorial étaient présents à la première audience, à l'issue de laquelle la Cour suprême a renvoyé le procès au 14 décembre, selon un journaliste de l'AFP.

"On parle de la liquidation d'une organisation qui aide les gens. D'une organisation qui préserve la mémoire collective", s'est indignée au tribunal une cofondatrice, Elena Jemkova.

Car, créé en 1989 par des dissidents soviétiques dont le prix Nobel de la Paix Andreï Sakharov, Memorial a commencé son travail en documentant les crimes staliniens et le Goulag, avant de se lancer dans la défense des droits humains et des prisonniers politiques, deux activités désormais à hauts risques en Russie.

L'ONG s'est distinguée par ses enquêtes sur les exactions russes en Tchétchénie. Plus récemment, elle a mis en cause des paramilitaires de l'opaque groupe "Wagner" pour des crimes de guerre présumés en Syrie.

"Choquant", un "crime"

Plus de 200 personnes se sont réunies jeudi devant le tribunal pour exprimer leur solidarité, certaines portant un masque noir sur lequel était inscrit "Memorial ne peut pas être interdit", a constaté l'AFP. Pour Anna Borzenko, une professeure de 65 ans, ce procès est "un crime commis par l'État".

"Le fait que l'État tente de réduire Memorial au silence, de faire taire notre mémoire (collective), c'est vraiment choquant, vraiment effrayant", abonde Piotr Khromov, un avocat. Plus de 100'000 personnes ont signé une pétition en ligne réclamant l'abandon des poursuites contre Memorial.

Concrètement, le Parquet accuse Memorial International d'avoir enfreint à de multiples reprises la loi sur les "agents de l'étranger", un statut auquel il est soumis depuis 2016. Selon cette loi, les organisations qualifiées d'"agents de l'étranger" doivent afficher ce label avilissant sur toutes leurs publications.

Cherchant manifestement à prendre l'équipe de Memorial en défaut, un procureur a ainsi demandé jeudi à Mme Jemkova à partir de quelle date elle avait commencé à mentionner ce statut d'"agent de l'étranger" sur... ses cartes de visite.

Jeudi, les avocats de Memorial ont assuré que l'écrasante majorité des publications de l'organisation comportaient cette inscription, ajoutant qu'un petit nombre de documents avaient pu passer entre les mailles du filet. "Vous ne pouvez pas fermer une telle organisation pour des détails techniques", s'est insurgée Mme Jemkova.

Pas d'appel

La date à laquelle la Cour suprême rendra sa décision n'est pas connue. Les avocats de l'ONG ne pourront pas faire appel devant d'autres tribunaux en Russie.

Si les Européens et le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits humains ont appelé à l'arrêt des poursuites, le Kremlin a souligné que Memorial avait "depuis longtemps" des problèmes avec la loi russe.

L'un de ses responsables, Oleg Orlov, a expliqué mardi à l'AFP que la dissolution de Memorial International compliquerait "fortement" le travail de l'ONG en la privant de base juridique pour embaucher des employés, recevoir des fonds ou entreposer ses archives.

En principe, la Cour suprême ne peut pas interdire par une seule décision l'ensemble des structures de Memorial en Russie, car chacune possède sa propre entité juridique et il faudrait donc les fermer une par une.

Les membres de l'ONG craignent néanmoins que la justice ne trouve un subterfuge pour liquider l'ensemble du réseau.

Parallèlement, le Parquet de Moscou a exigé la dissolution du Centre de défense des droits humains de Memorial, une entité qui fournit notamment une assistance aux prisonniers politiques, aux migrants et aux minorités sexuelles.

La première audience de cette affaire s'est déroulée mardi.

Prix à Montricher (VD)

Memorial International a reçu mardi à Montricher le Prix Jan Michalski de littérature. L'ONG est récompensée pour "OST: Letters, Memoirs and Stories from Ostarbeiter in Nazi Germany", un ouvrage collectif qui se penche sur le destin des travailleurs de l'Est déportés en Allemagne et soumis au travail forcé par les nazis.

À la fin de la guerre, plus de 2,5 millions d'"Ostarbeiter" ont été rapatriés en URSS, où ils ont affronté de nouveaux traumatismes: être considérés comme traîtres à la patrie, jugés, envoyés dans des camps ou enrôlés dans l'armée rouge. Le prix distingue non seulement l'ONG mais aussi les quatre auteurs de l'ouvrage, Alena Kozlova, Nikolai Mikhailov, Irina Ostrovskaya et Irina Scherbakova.

ats, afp

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