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Libye: crime contre l'humanité d'esclavage sexuel (enquêteurs)

La mission d'établissement des faits sur la Libye présidée par Mohamed Auajjar demande plusieurs mécanismes pour préserver les preuves de violations dans ce pays. © KEYSTONE/SALVATORE DI NOLFI
La mission d'établissement des faits sur la Libye présidée par Mohamed Auajjar demande plusieurs mécanismes pour préserver les preuves de violations dans ce pays. © KEYSTONE/SALVATORE DI NOLFI


Publié le 27.03.2023


Les enquêteurs onusiens estiment que l'esclavage sexuel perpétré en Libye constitue un crime contre l'humanité. Dans leur rapport lundi à Genève, ils ciblent les centres de trafic de Bani Walid et Sabratah. Selon eux, par son soutien, l'UE facilite des crimes.

La Mission d'établissement des faits sur les violations des droits humains en Libye avait déjà dénoncé à plusieurs reprises de probables crimes contre l'humanité dans les prisons et contre les migrants. Mais elle ne s'était pas encore penchée sur l'esclavage sexuel subi par les migrants dans ce pays.

Aussi bien l'esclavage que l'esclavage sexuel alimentent "un volume significatif de violations que nous n'avions pas pu établir" dans les précédents rapports, a affirmé à la presse une membre de la mission, Tracy Robinson. Plusieurs régions sont affectées, y compris le sud où les trois enquêteurs indépendants mandatés par l'ONU n'ont pu se rendre, tout comme ils n'ont pu, malgré leurs demandes, voir des centres de détention.

Dans leur rapport dévoilé lundi, ils estiment que les migrants, surtout des migrantes, ont été asservis dans des centres de détention officiels où ils ont été victimes de viols. Elle affirme que quatre entités de l'Etat ou qui lui sont proches ont été associées à ces abus.

Or, certaines d'entre elles sont soutenues par l'Union européenne (UE) pour éviter que les migrants ne rejoignent le continent européen. Cette attitude "facilite" la possibilité de crimes contre l'humanité, ajoute un autre membre de la mission, Chaloka Beyani.

Wagner mis en cause

Parmi les reproches, la mission identifie de la torture, de la détention à l'isolement ou encore le manque d'accès à la nourriture, à l'eau ou à des conditions d'emprisonnement adaptées. Plus largement, elle se dit également "très inquiète" de la détérioration de la situation des droits humains. Les femmes sont systématiquement discriminées et leur situation est considérée comme toujours plus préoccupante.

Aussi bien les forces de sécurité étatiques que les milices armées sont responsables de probables crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Presque tous les rescapés que la mission a interrogés n'ont pas déposé de plainte officielle. Ils redoutent des représailles, des arrestations ou de l'extorsion. Le président de la mission Mohamed Auajjar a rendu hommage aux centaines de personnes qui ont pu être interrogées.

Outre l'esclavage sexuel, le rapport mentionne de nombreux cas de détentions arbitraires, d'exécutions extrajudiciaires, de meurtres, de viols ou de disparitions forcées. Dans un cas au moins, le groupe russe Wagner a perpétré le crime de guerre de meurtre et de torture. Il a surtout mis en 2020 des explosifs dans des maisons.

Difficile de savoir combien de mercenaires, dont ceux de Wagner, sont encore en Libye. Il faut évaluer si certains ont rejoint l'Ukraine ou la Centrafrique, a ajouté M. Beyani.

Réformes pas encore abouties

La mission a souvent dénoncé par le passé la situation des migrants. Ceux-ci font l'objet de torture systématique, répète-t-elle. "Il y a un besoin urgent d'établir des responsabilités pour mettre un terme à cette impunité persistante", affirme M. Auajjar.

Les trois enquêteurs indépendants demandent aux autorités de lancer un plan d'action sur les droits humains et une approche de justice avec les victimes en son centre. Or, les violations se poursuivent à un rythme important et le gouvernement ne semble pas avoir mené des "étapes significatives" pour y répondre, déplore le rapport.

Des autorités parallèles sont observées et les réformes pour garantir l'Etat de droit et l'unification du pays sont loin d'être terminées, dit-il. Milices et groupes armés s'appuient aussi sur une large impunité.

Appel à des mécanismes

Le gouvernement est lui mis en cause pour des assauts contre les défenseurs des droits humains, les activistes des droits des femmes ou encore des organisations de la société civile. Le trafic ou encore les détentions aboutissent à d'importants avantages financiers pour certaines personnes et certains groupes.

Il faut un climat qui permette des élections libres et équitables, qui se font toujours attendre malgré des accords sur cette question, ajoute la mission. Elle demande aussi le lancement par le Conseil des droits de l'homme de l'ONU d'un mécanisme d'enquête international indépendant pour préserver les preuves de violations.

Et le Haut-Commissariat aux droits de l'homme devrait lui établir un dispositif séparé de suivi, affirme-t-elle encore. Les trois enquêteurs vont partager avec la Cour pénale internationale (CPI) leur matériel et une liste d'individus identifiés comme possibles responsables de crimes internationaux.

ats

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