La Liberté

Les lettres à nos aînés

Papa, nous avons le choix de voler dans nos têtes

Papa, nous avons le choix de voler dans nos têtes
Papa, nous avons le choix de voler dans nos têtes


Publié le 25.04.2020

Temps de lecture estimé : 3 minutes

Lettre à nos aînés » Cher Papa, la vie prend un drôle de tour ces jours, n’est-ce pas? Je ne peux plus venir te voir, et comme tu n’as pas tout à fait pris le virage de la technologie, je ne peux pas non plus te «skyper», car nous passons notre temps à nous demander réciproquement: «Tu m’entends? Oui, mais je ne te vois pas. Attends, et comme ça, tu me vois? Eh bien oui, mais je ne t’entends plus! Mais que faire, mince ça coupe!»

Donc, exit le Skype.

Exit les embrassades sonores, pleines d’exclamations, de tapes dans le dos et de bises.

Exit les souvenirs qu’on se raconte, les disputes parce qu’on n’est pas du tout du même bord politique, les réconciliations autour d’un verre.

Exit aussi les réunions de famille où l’on s’ennuie toujours un peu mais qui nous manquent tellement maintenant.

Exit tous les petits bonheurs que nous avons appris, parfois péniblement, à nous offrir, toi et moi, en faisant peu à peu la paix sur nos énervements.

Exit, les moments de douceur qui reviennent depuis que tu es entré dans le 4e âge et que j’arrive au seuil du 3e, avec l’idée, diffuse encore, longtemps cachée par une histoire commune souvent chamboulée, que nous ne sommes pas si éloignés l’un de l’autre.

Plus d’issues verbales à mes révoltes issues d’une jeunesse de plus en plus lointaine ou aux tiennes, adoucies d’une sérénité de plus en plus quotidienne.

Et bonjour solitude, ou en tout cas son cortège de petits deuils et de chagrins rentrés.

Jadis, toi et moi, on aimait plutôt la solitude; on savait bien que les moments de silence étaient bienvenus dans des vies souvent trépidantes. On était taiseux, on ne parlait pas trop de ce qu’on ressentait.

Mais, maintenant, les règles du jeu ont changé et, puisqu’on ne peut pas se voir, on se sent seuls, chacun chez soi. Papa, rappelons-nous que c’est surtout parce qu’on n’a pas le choix qu’on se sent seuls. C’est notre liberté qui est atteinte, rien d’intérieur. On n’a pas le choix de l’isolement, mais on a celui de voler dans nos têtes.

Par exemple, on pourrait s’écrire… Le bonheur, au temps de la solitude, repenser aux moments heureux, ou même aux tristes, et les écrire. Si on notait chaque jour une idée qui nous traverse et dont nous pourrons parler, après? Car, bien sûr, il va y avoir un après. Et la douleur d’aujourd’hui sera le bonheur de demain. On aura tant de choses à partager!

Nicolas Couchepin Écrivain, Cormérod

Rubrique lancée par La Liberté, Arcinfo, Le Quotidien jurassien, Le Journal du Jura et Le Nouvelliste. A écouter aussi Porte-Plume,à 11 h (lu-ve), sur RTS-La Première. Pour vos lettres à nos aînés: redaction@laliberte.ch

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