La Liberté

Les lettres à nos aînés

Il nous reste les mots

Il nous reste les mots
Il nous reste les mots


Publié le 29.04.2020

Temps de lecture estimé : 2 minutes

Lettre à nos aînés

Chers aînés, ces temps, franchement, il ne vous reste pas grand-chose. Fini les petits thés entre copines après le marché du samedi matin au tea-room. Plus d’apéros chaque premier mercredi du mois au café du quartier avec l’Amicale des anciens. Le souper de soutien du FC Etoile-Sport tombe à l’eau! Pas de petits-enfants à garder le lundi après l’école. Ni le mardi d’ailleurs. Ce n’est même plus possible de descendre au kiosque du coin acheter ses deux paquets de cigarettes sans filtre. On doit laisser tomber les balades qui font du bien aux articulations, comme celle sur Pérolles avec lecture de La Liberté et p’tite bière chez Mimi. Et bien sûr, cette année, il n’y a pas eu non plus de fête de Pâques en famille avec le gigot d’agneau et les poires à Botzi! Eh ben, c’est pas tant joyeux, tout ça.

Mais, heureusement, il reste les mots. Un message, un appel, une lettre, un bouquin, un film, le journal. Tout ça, c’est bourré de mots. Des mots qu’on peut trouver jolis (heures ailées), qu’on aime bien entendre (tu me manques), qu’on ne comprend pas toujours (maladie infectieuse émergente de type zoonose virale), qu’on se réjouira de lire un jour (la fin du confinement est prévue pour…) ou pas (l’enseignement à distance va devoir passer par des visioconférences sur Office 365), qui nous permettent de changer de peau l’espace d’un moment (t’as de beaux yeux, tu sais).

Et les mots, même si ça ne remplace pas de voir «pour de vrai» les copains, la famille, des gens, ça permet de garder des liens. Peut-être même de les resserrer, qui sait, si on ose prendre la plume, son portable ou empoigner le téléphone. Mais oui, ce neveu qu’on n’a pas vu depuis qu’il a eu le bac, que devient-il? Et ma fille, qui parfois croit tout savoir, ça fait combien de temps que je ne lui ai pas dit que je l’aimais fort? Et cette sœur, cette vieille râpe, que je n’ai plus revue depuis l’enterrement de notre frère, qu’est-ce qu’elle fait, elle, de ses journées? Pis cette serveuse si sympa, celle qui m’écoute en souriant, même quand je râle, si j’essayais de dégoter son adresse ou son numéro de téléphone pour lui dire merci?

Chers aînés, ces temps franchement, il ne vous reste pas grand-chose, mais il vous reste les mots.

Tatjana Erard, Enseignante et auteure, Fribourg

Rubrique lancée par La Liberté, Arcinfo, Le Quotidien jurassien, Le Journal du Jura et Le Nouvelliste. A écouter aussi Porte-Plume,à 11 h, du lundi au vendredi, sur RTS-La Première. Pour vos lettres à nos aînés: redaction@laliberte.ch

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Tél: +41 26 426 44 11